Comprendre les états de Samadhi

Comprendre les états de Samadhi

Pour vous faire comprendre les différents états modifiés de conscience induits par les pratiques de Yoga, il me faut d’abord revenir brièvement sur certains concepts issus du Samkhya, la base théorique du Yoga.

Purusha est votre conscience sous sa forme la plus pure. Votre « âme » pour certains, mais qui serait dépourvue de toutes mémoires (samskara), même de celles issues de vos vies passées. 

Appelé également Atman, Purusha est l’équivalence de Brahman en nous, d’où l’idée que la « divinité » est en nous, car Brahman est ce concept métaphysique qui sous-tend tout dans l’univers ; c’est la conscience cosmique ou universelle, dotée d’intelligence et porteuse d’information.

C’est le champ unifié des théoriciens quantiques, où la notion d’espace-temps n’existe pas, où tout est relié. C’est cette forme d’intelligence qui crée notre univers et se trouve dans la moindre particule ; dans ce vide apparent entre les électrons et le nucleus.

Pour rappel, nous ne sommes que poussières d’étoiles, comme disait Hubert Reeves. Les particules qui vous composent ont toujours étaient là, et le seront encore après votre mort.

Le but des états de concentration les plus avancés est de se relier, se brancher, à ce champ d’information.

Pour se faire, il faut mettre sous silence certaines choses en nous. Se mettre dans les bonnes dispositions.

Prakriti est tout ce qui est manifesté ; matière, pensées, émotions, mémoires, odeurs… électrons, neutrons, protons…. c’est tout ce qui est sujet aux fluctuations constantes de 3 qualités, les Gunas ; Sattva, Rajas et Tamas. 

Brahman, Atman, Purusha ne sont pas sous l’influence des Gunas.

Kaivalya, le but ultime des mystiques indiens est l’ultime libération obtenue par l’état de concentration le plus avancé qui soit. Libération du cycle des réincarnations, libération totale des Gunas, et donc de Prakriti ; autrement dit lorsque votre Purusha se fond dans Brahman – telle était l’union recherchée alors.

C’est un point de non retour, appelé parfois « suicide yogique », car oui il s’agit bien de l’ultime détachement ; celui de la vie.

Sans aller jusque là, les pratiques de Yoga, par la concentration, cherchent à contrôler notre activité cérébrale ; par la gestion émotionnelle, la compréhension de l’incidence de nos expériences passées sur nos comportements et interprétations, et celle de nos conflits internes. En bref, tout ce qui crée les perturbations de notre conscience, biaise notre vision, notre compréhension, et crée nos souffrances. 

Pour le Samkhya-Yoga, nous pouvons accéder à une forme d’intelligence supérieure, un niveau de conscience proche de purusha mais tout en faisant encore parti de Prakriti – donc de notre vivant – appelée Buddhi. Buddhi est purement sattvique. 

D’ou le terme de Bodhisattva en bouddhisme, qui implique des êtres ayant atteint cet éveil tout en restant dans le monde, et peuvent ainsi aider les autres à y parvenir.

Pour parvenir à cet état sattvique, à cette intelligence particulière (buddhi), et accéder aux datas de la conscience universelle, il nous faut donc, pendant un temps, parvenir à éradiquer toute dualité en nous, à savoir Rajas et Tamas, qui interviennent ;

  • d’une part en relation avec le monde extérieur par Ahamkara (ou Mahat), cette partie de nous qui crée la perception de l’individualité, nous distinguant du reste de l’univers ; l’ego, sans qui nous ne pourrions pas agir avec cohérence dans la vie, 
  • et d’autre part en relation avec notre monde intérieur par Manas (ou Citta) ; le mental dont les moyens de connaissance (Jnanendrya) sont les 5 sens.

Dans la conscience ordinaire, le mental est dirigé vers l’extérieur, traite les informations qui lui parviennent, compare, classifie, nomme… et enclenche des réactions comportementales et émotionnelles en nous sans que nous ne nous en rendions vraiment compte, faisant osciller en permanence nos ondes cérébrales, notre énergie (prana), par la fluctuation constante des Gunas.

Il faut donc calmer cela dans un premier temps, se recentrer, diriger notre énergie, notre attention, en nous. Si le mental appréhende le monde extérieur par les sens, la première pratique d’intériorisation à travailler est donc Prathyahara, lorsque nos sens sont tournés vers l’intérieur ; écoute des sensations en nous, des micro-mouvements, des sons internes, du souffle…

Prathyahara peut être abordé pendant la pratique posturale, mais c’est surtout dans l’assise (Asana), dans l’immobilité, que Prathyahara pourra déclencher le plus sûrement certains états, à savoir les 3 derniers piliers du Yoga ; Dharana, Dhyana et Samadhi, soit Samyama.

Avant d’aller plus loin, stipulons quelques points importants :

  • Dharana, Dhyana et Samadhi ne sont pas des pratiques, mais bien des états (d’ondes cérébrales notamment) préparés par les pratiques posturales, pouvant être provoqués par le Pranayama, ou plus spontanément à force de pratique.
  • Ces états n’appartiennent pas exclusivement aux Yogis, mais à quiconque se trouvant dans les bonnes dispositions. Les pratiques de Yoga sont là pour nous permettre d’atteindre ces états.

Ce qui signifie que certains de ces états peuvent parfaitement se déclencher sans que vous ne soyez nécessairement dans l’assise ; lorsque vous prenez le temps de réfléchir à certaines choses, dans des moments de contemplation ou de calme.

  • Ne considérez pas le Pranayama comme une pratique de performance, comme on a pu gâcher la pratique posturale en occident… Dans un premier temps, il ne s’agit pas de faire les plus longues rétentions ou d’avoir le souffle le plus long, il s’agit juste de rester concentrer. Vous pouvez inventer vos propres exercices autour du souffle pour se faire. Dans un second temps, les rétentions sont là pour induire les états que nous allons parcourir, et notamment la mise sous silence de nos dualités ; de nos énergies rajasiques et tamasiques.
  • Dans les bonnes dispositions, on oscille entre les 3 états, et de manière encore plus subtil quand il s’agit des samadhi(s), ce que nous allons bientôt aborder.

Dharana, est la concentration du mental (manas), soit l’acte de retenir avec fermeté le mental, de l’empêcher de se diriger vers l’extérieur. 

Vous êtes dans cet état lorsque vous lisez un livre sans vous laisser distraire, lorsque vous êtes dans un processus créatif d’écriture, de peinture, de composition… lorsque vous cherchez à résoudre un problème mathématique… et dans le cadre des pratiques de Yoga, lorsque vous êtes attentif pendant votre pratique posturale autonome, de pranayama, ou de répétition des mantras.

Le mental est encore pleinement en action, les mémoires sont présentes, les gunas également, mais le mental est calmé ; ni somnolent (mudha), ni dispersé (kshipta) mais « momentanément » concentré (Vikshipta).

Vous commencez à sortir de l’espace-temps ; vous n’avez plus vraiment conscience de ce qui vous entoure, des bruits environnants, du temps qui passe…

Les pensées sont donc toujours là, et c’est là que le travail commence car il s’agit dans cet état de calme d’observer les pensées émergentes jusqu’à, petit à petit, parvenir à les étouffer avant qu’elles n’occupent, et ne contrôlent, votre mental.

Chaque pensée fait référence à une ou plusieurs mémoires, liées à des émotions et en lien avec les gunas, créant donc des fluctuations… ce que vous voulez éviter.

Au bout d’un moment, cette retenue apporte le calme nécessaire pour se concentrer sur un seul objet, ou sujet, donné. Le plus simple étant de rester concentrer sur votre souffle ; sa qualité, sa trajectoire… d’où tout l’intérêt du Pranayama… ou un peu moins simple, sur un objet concret telle une statuette ou une image. 

Dans l’espace entre 2 pensées émergentes, vous êtes alors dans l’état de Dhyana, de méditation. Votre mental en état d’Ekagrata ; c’est à dire concentré en un point, un objet, un sujet (Pratyaya). 

L’idée étant, à ce niveau, de travailler à espacer de plus en plus le temps entre 2 pensées émergentes.

Se faisant, plus vous arrivez à faire perdurer ce temps sans pensée polluante, plus vous vous sentez absorbé dans la concentration ; rajas et tamas n’interviennent plus à ce point. Vous êtes dans un état dit sattvique. Vous êtes en Sabija Samadhi et des sujets plus vastes peuvent être objet de concentration, comme vous concernant (un comportement, un rapport conflictuel, un problème à résoudre, un souvenir) ou plus global (l’amour, l’individualisme, la cruauté… un des Yama(s) ou Niyama(s)… la circulation sanguine… le cosmos…) Sujet qui sans vos appréciations/dépréciations liées à vos mémoires, se révèle sous un nouveau jour.

“Je veux me connaitre, comprendre qui je suis, je le souhaite vraiment, car “moi-même” pourrait bien être l’univers” Krishnamurti 

Votre mental est alors si calme, si clair et tranquille que vous allez pouvoir saisir les causes les plus subtiles de vos pensées, paroles et actions, sans jugement ou émotions. On dit que la conscience ainsi raffinée commence à se « fissurer » – on parle alors d’expansions de conscience. 

Même si cela ne dure que quelques instants, Sabija samadhi laisse ses propres impressions subtiles sur le mental. Une transformation profonde s’opère en vous, dans votre perception et donc dans vos réactions.

Différents niveaux de conscience se distinguent cependant dans le contexte de Sabija Samadhi ;

Les Samprajnata Samadhi, où les mots sont encore là pour soutenir vos réflexions et les Asamprajnata Samadhi qui sont des états de transition entre deux niveaux de conscience, où le mental libre de mots et oublieux de lui-même, laisse toute la place au sujet sur lequel se porte la concentration. Et l’on alterne entre ces 2 états particuliers.

Imaginons que vous ayez choisi un sujet de concentration, et êtes dans les bonnes conditions, voici comment d’après le Yoga votre niveau de conscience évolue ;

  • Savitarka Samadhi : la conscience des détails.

Votre raisonnement (Vitarka) porte alors sur les aspects grossiers du sujet qui vous intéresse à l’aide de mots. Vous menez une enquête.

Dans savitarka samadhi, les fonctions mentales ordinaires continuent, mais l’identification à l’objet/au sujet s’approfondit de sorte que le mental est moins conscient de ses propres processus qu’il ne l’était pendant le dhyana. 

L’esprit est « collé » à l’objet de méditation et ne peut penser à aucun autre objet, mais la façon dont le mental se rapporte à cet objet unique n’est pas très différente de la façon dont le mental pense dans l’état de conscience ordinaire, ce qui fait que vous pouvez être dans le doute et ne pas être sûr de pouvoir faire la différence entre la connaissance réelle et la connaissance basée sur vos mémoires, autrement dit entre une intuition juste ou un raisonnement teinté de vos intérprétations. 

Vous avez certainement déjà expérimenté cela dans votre vie. Et si vous n’avez pas cru en l’intuition, un “je le savais !” vous aura échappé vous rendant compte de l’erreur.

Savitarka samadhi, est simplement un approfondissement de Dhyana.

Puis vous allez passer du raisonnement à la réflexion, donc de Vitarka à Vicara. Cet état intermédiaire (asamprajnata), si toutefois vous êtes resté dans les conditions requises suffisamment longtemps, est :

  • Nirvitarka Samadhi où vous êtes toujours concentré sur les aspects grossiers du sujet traité, mais soudainement, de manière brève ou pas, sans l’aide de mots – libre de la pensée verbale – la vraie nature du sujet contemplé est alors révélée.

C’est ce que l’on nomme une perception directe, une réalisation, ou encore l’intuition yogique. 

Ne découlant pas d’un témoignage, ou d’une inférence… sans obstruction issues de vos mémoires, sans interprétation. Tout devient évidemment vrai, aucune preuve n’est requise, aucun doute n’est possible. Il s’agit de la perception la plus vraie. Une vision révélée.

À savoir que :

> cet état peut advenir spontanément sous certaine condition hors de l’assise méditative, dans des moments de contemplation, ou de silence… encore une fois ; quand certaines conditions d’ondes cérébrales sont réunies. 

« Je réfléchis 99 fois et je ne trouve rien. J’arrête de penser, je nage dans le silence et la vérité me vient » Albert Einstein 

> Les pratiques de pranayama nous exercent en quelque sorte à nous mettre dans les bonnes conditions pour que cela adviennent spontanément.

> la prise de psychotropes doux ou micro-dosés peut vous faire expérimenter cet état, comme il est indiqué dans les Sutra(s) de Patanjali ou certains textes de Hatha Yoga. Certaines lignées bouddhistes (vajrayana) utilisent cela avec leurs novices, sous la forme de concoctions, pour leur faire percevoir l’état recherché.

Les mots reviennent alors, nourris de cette vision épurée, pour plonger dans les aspects plus subtils du sujet de méditation. Il s’agit de :

  • Savicara Samadhi : la conscience des principes

Vous approfondissez votre compréhension, vous voyez plus loin, à la source du sujet. Des aspect que vous n’envisagiez pas au début apparaissent. La globalité du sujet se dévoile, dans toutes ses subtilités, ses connexions, interactions et significations.

À savoir que les textes des védas, et des premiers Upanishads, sont considérés comme ayant été « révélés » à leurs auteurs, les rishis, capables d’atteindre ce niveau de concentration. C’est pourquoi jamais personne ne mettra en doute la validité de ces textes. 

Lorsqu’il est dit que quelqu’un ou une lignée ne reconnait pas l’autorité des Vedas, ce n’est pas la validité des textes qui est mise en doute mais l’autorité de la caste des Brahmanes, et certains rituels comme les sacrifices. Nul part, dans aucun texte ancien ou moderne, l’intuition yogique est mise en doute.

Puis un nouvel état de transition dépourvu de mots (asamprajnata), advient alors – de Vicara (la réflexion) à Ananda :

  • Nirvicara Samadhi , que l’on nomme également état supra-réfléchissant, ou dit de super-conscience. 

Aucune pensée parasite, issue de vos mémoires, n’est apparue, permettant d’avoir le temps d’arriver à ce niveau de concentration. Dans cette combinaison de retenue et de puissance, la conscience raffinée par l’absence d’interprétations, oublieux de vous-même (ahamkara est en silence), de l’espace que vous occupez, du temps qui s’écoule, libre de toute dualité… purement sattvique, totalement absorbé ; votre mental est en Nirodha. Tout est clair.

Il n’y a même plus contemplation… plus d’observeur et de sujet observé. 

Vous entrez alors dans le domaine des Nirbija Samadhis, lorsque qu’il n’y a plus d’objet ou sujet de méditation – sans pratyaya. Ce sont les formes les plus avancées de Samadhi.

Ce silence savoureux, et éclairant, mène directement à :

  • Sananda Samadhi

Un sentiment de joie et de bonheur émerge dans ce silence. C’est un état de ravissement difficile à exprimer par les mots. Mircea Eliade nomme cela l’enstase.

Aucun vritti n’apparaît, à l’exception de la conscience muette du sentiment ; « quelle incroyable sensation de paix. Que je suis bien ! ».

À Savoir :

> Que cet état peut lui aussi advenir spontanément. C’est pourquoi réfléchir sur la gratitude et le contentement est si important,

> Que même quelques brefs instants dans cet état peuvent marquer durablement votre réalité, car en découle un sentiment de confiance en la vie et en soi,

> Que la plus douce des rétentions durant le pranayama, à savoir Kevala Kumbhaka, une rétention spontanée du souffle dans les bonnes conditions d’ondes cérébrales, peut vous mener directement à Sananda samadhi.

De cet état « divin », advient la transition vers :

  • Sasmita Samadhi, vous n’avez alors plus la « conscience de soi ».

Vous n’êtes plus cette entité séparée du reste. Vous ressentez pleinement faire parti d’un tout. Vous êtes branché sur le champ unifié, seul et un avec tous.

“Nous sommes tous un. Seuls les egos, les croyances et les peurs nous séparent” Nikola Tesla

> Les psychotropes puissants peuvent y mener, on parlera d’extase et non d’enstase, mais ce n’est pas sans risque si vous n’êtes pas dans les bonnes conditions.

Ce qui suit ne concerne que les mystiques, ces grands méditants ayant renoncé aux plaisirs et souffrances d’une vie incarnée.

  • Car de là, il est dit que l’état de Dharma Megha Samadhi peut advenir – le fameux suicide yogique.

C’est l’état de transition avec Kaivalya, autrement dit avec la mort sans réincarnation, lorsque l’âme épurée de toutes mémoires, jusqu’aux plus anciennes, n’étant plus sous l’influence d’aucune des Gunas, peut ne faire qu’un avec Brahman.

Dans cet état toute l’énergie du méditant étant dirigé depuis un temps conséquent vers le coeur, quitte petit à petit le reste des organes vitaux. Le corps finit par ne plus produire de chaleur… le coeur va s’arrêter de battre, l’encéphalogramme devient plat.

Tout ce que je peux vous dire sur cette dernière partie et de vous renseigner sur le phénomène du Tukdam que l’on trouve chez certains lamas tibétains, qui est vraisemblablement une équivalence et que la science tente d’étudier aujourd’hui tant bien que mal.

Quelques derniers mots pour vous rappeler que les pratiques avancées de yoga demandent du temps, de la patience, une absence d’analyse, une curiosité saine, une confiance certaine et une régularité. 

Mais surtout et avant tout de la pratique. Vous pouvez avoir compris intellectuellement ce qui vient d’être expliqué – et j’espère avoir aidé à cela – mais n’oubliez pas que seule l’expérience directe vous fera comprendre pleinement de quoi il s’agit… et qu’elle est à la portée de tous.

Les asamprajnata et les Nirbija Samadhi(s) ne peuvent être forcés, c’est en cultivant certaines qualités, un certain calme, une certaine écoute, qu’ils se déclenchent quand on s’y attends le moins.

“Le secret n’est pas de pourchasser les papillons, mais de prendre soin de votre jardin pour qu’ils viennent à vous”

Cela reste dans le domaine, pour l’instant, de l’inexpliqué.

Du coeur, toujours.