La respiration Ujjayi est l’ingrédient qui m’a interpelé dès mon premier cours ; à la sensation d’unité parmi les pratiquants, tous sur la même fréquence, s’ajoutaient celles de puissance et de concentration. J’avais l’impression de sentir la salle respirer.

La respiration Ujjayi, à ne pas confondre avec Ujjayi pranayama, impliquant des rétentions et une intériorisation complète, est propre à la méthode posturale de T. Krishnamacharya ; le Vinyasa Krama.

C’est l’utilisation d’une respiration controlée, et la concentration de l’esprit sur cette respiration, comme moyen de connecter (Yuj) le corps et le mental, en la synchronisant avec les mouvements exécutés.

« L’Ashtanga Vinyasa Yoga, c’est simplement la respiration Ujjayi avec un petit peu de mouvement. » – Richard Freeman (The Art of Vinyasa)

Ce sont de longues inspirations et expirations, profondes, douces, uniformes et ininterrompues, à travers une glotte partiellement fermée, créant une sensation de frottement dans la gorge et le son caractéristique d’Ujjayi.

« Le sifflement doux produit devrait ressembler à celui d’un cobra. » T. Krishnamacharya

Elle est tenue durant toute la pratique posturale, à l’exception de certaines pauses admises, et des postures finales inversées.

Personnellement, j’intensifie la respiration Ujjayi lorsque je guide un cours de manière à rappeler aux élèves de s’y concentrer. Cela m’a beaucoup aidé à parfaire ce souffle. Mais pendant la pratique, le son produit sans tension dans les muscles du cou ou la langue, ne devrait être audible que dans un périmètre d’1 à 2 mètres.

L’utilisation de Mula et Uddiyana Bandha facilitera la respiration Ujjayi, tout en améliorant sa qualité et ses effets.

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« La pratique d’une posture suppose un contrôle rigoureux de la respiration si l’élève désire en retirer un maximum d’effets positifs. Par conséquent bien qu’asana concerne d’abord le corps physique, son influence s’exerce bien au-delà. » – Kausthub Desikachar

La fermeture partielle de la glotte permet un contrôle précis du débit respiratoire afin de synchroniser la durée d’un mouvement avec celle d’une phase respiratoire : 

– Un mouvement ascendant, expansif, ou la sortie d’une pose sera en conjonction avec une inspiration, favorisant l’envol, le redressement de la colonne, l’étirement…

– Un mouvement descendant, contracté, ou d’installation sera en conjonction avec une expiration, favorisant l’ancrage, la récupération, l’intériorisation.

Ainsi le rythme respiratoire (nombre de cycles d’expirations et d’inspirations par minute) est réduit ; l’espérance de vie est ainsi prolongée – c’est un des axiomes du yoga. 

« Notre rythme respiratoire normal est d’environ quinze respirations par minute. Dans le vinyasa krama, nous réduisons considérablement le rythme respiratoire. Les débutants peuvent respirer à un rythme d’environ six respirations par minute tout en pratiquant le vinyasa krama. Avec une pratique assidue, il est possible pour les pratiquants avancés de réduire leur rythme respiratoire à environ deux respirations par minute pendant presque toute la durée de leur pratique de yoga asana. » – Srivatsa Ramaswami

Du fait de la réduction du rythme respiratoire, l’activité parasympathique augmente d’un coté, alors que l’exigence de la pratique corporelle du Vinyasa Krama (pratique dynamique) augmente l’activité (ortho)sympathique d’un autre côté. 

Le système nerveux autonome, régulant la fréquence cardiaque, la pression artérielle, la digestion, la transpiration… et de nombreux organes, tend ainsi à s’équilibrer et se tonifier.

Plus vous pratiquez plus les effets se font sentir : moins de transpiration et de fatigue, endurance, contrôle et concentration améliorés, santé renforcée.

La respiration Ujjayi implique également un renforcement des muscles respiratoires ce qui en fait une excellente préparation au Pranayama, et à la maîtrise de Jalandhara Bandha, nécessaire aux rétentions (Kumbhaka). 

Par l’augmentation de la température interne du corps que cela implique, cela fait référence à un autre axiome du Yoga cher aux Nathayogin, et à la notion de Tapas, afin que les noeuds (psycho-affectifs) soient brûlés pour que l’énergie circule librement.

« Tel le feu qui brûle les impuretés du métal en fusion, le souffle contrôlé brûle toutes les impuretés des sens. » T. Krishnamacharya (Yogarahasya)

Enfin, il est reconnu que la qualité de notre respiration est directement liée à nos émotions. Ainsi qui contrôle son souffle, de surcroît pendant une activité physique intense, apprend à contrôler son mental, sur et en dehors du tapis – face à des situations ardues.

« Quand le metal est calme, la posture est juste. » S.K.Pattabhi Jois

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La respiration Ujjayi servant de base à la pratique posturale, elle devrait idéalement être travaillée séparément avant d’apprendre à se déplacer en conjonction avec elle.

Bouche ouverte cherchez d’abord à expirer comme si vous vouliez faire de la buée sur une vitre. Puis en allongeant le temps de l’expiration, dirigez votre langue vers l’arrière. Vous devriez ainsi parvenir à produire le son recherché. 

Il s’agit maintenant de reproduire la sensation de frottement, d’élévation du voile du palais et de filtration de l’air, bouche fermée, à l’expiration comme à l’inspiration. 

Un fois cela établi, portez votre attention sur le son de Ujjayi et allongez le temps de vos respirations en dirigeant le souffle avec douceur, et des inspirations et des expirations de même qualité et de même longueur, tel le bruit des vagues qui vont et viennent.  

Le son de la respiration Ujjayi agit comme un métronome qui maintient le rythme et la qualité de la respiration cohérents, tout en inhibant le traitement des informations extérieures superflues, ce qui en fait un excellent support de concentration.

Initiant ainsi la connection mental-respiration, dirigez votre attention vers le centre de la cavité thoracique – point rayonnant de la respiration inhalée. 

La respiration est le fondement des formes internes de la pratique, invisibles à l’oeil extérieur.

Ressentez dans l’inspiration la cage s’ouvrir, les côtes se dilater, le diaphragme s’abaisser et ces sensations d’expansion, d’élévation, qui se propagent dans tout le corps. Soyez attentif jusqu’au sommet de l’inspiration – dans l’espace avant que l’expiration ne commence.

Dans l’expiration, ressentez les côtes se refermer pour s’adapter à la réduction de la taille des poumons, le ventre et le haut du dos se relâcher, le plancher pelvien se tonifier naturellement sur la fin de l’expiration. Soyez attentif au sentiment d’écrasement, d’ancrage, de relâchement…

Ce n’est pas l’air que vous respirez que vous voulez observer, mais le lent mouvement du Prana (souffle-vital) : un flux et reflux continu de sons et de perceptions qui unifient, soutiennent et nous informent aux niveaux physique, mental et émotionnel.

«  C’est par l’étude du souffle-vital que tu pourras comprendre la loi cosmique, la signification des harmonies transcendantes, le contenu des livres sacrés, la nature de tout ce qui se trouve dans les 3 mondes. Le souffle-vital est le reflet de l’atman, de l’âme universelle. » Le Shiva-Svarodaya (16)

En synchronisant cette respiration aux mouvements avec la même attention, et à force de pratique, la perception du corps devient plus intériorisée et plus subtile. 

Se faisant, la pratique prend une qualité profondément méditative.

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Bien qu’il semble que la respiration Ujjayi soit plus adéquate aux pratiques posturales dynamiques, je l’emploie volontiers dans des pratiques dites « Yin », mais aussi pour me calmer si je suis énervée, pour me concentrer, lorsque j’ai une décision importante à prendre, ou quand j’ai besoin de me sentir forte. 

« (Le Yoga) Un éventail de moyens, de chemins, pour une unique destination : l’harmonie intérieure fondée sur la connaissance de soi. » Colette Poggi

La respiration Ujjayi (« victorieuse ») est juste un moyen extrêmement efficace de vous faire avancer sur le chemin de la pratique du Yoga en amplifiant ses bienfaits et vous préparant au niveau de concentration, d’aisance et de contrôle requis pour les pratiques de Pranayama et de méditation. 

Lorsqu’à l’avant du tapis, prêt à démarrer, on enclenche la respiration Ujjayi et se pose quelques instants sur ce souffle, le monde extérieur s’évanouit, un mélange de paix et de joie s’éveille. Dans cette intention, l’enchainement des postures ne peut être confondu avec une séance de sport ou d’étirement, du moins pour celui qui le vit.

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