À la fin du XIXe siècle, les érudits voient négativement les pratiques du hatha yogin au cours de la période cruciale qui a précédé les premières reformulations du yoga pour un public moderne.
Perçus comme dissolus et profanes, ces groupes de yogin ont été accueillis avec perplexité et hostilité par les premiers observateurs européens. La performance des austérités posturales yogiques était l’emblème le plus visible et le plus vanté de la folie indienne, et à mesure que les yogis utilisaient de plus en plus l’exhibitionnisme comme moyen de subsistance, cette association se consolida dans l’imaginaire populaire.
Le dégoût européen pour les yogis n’était pas simplement dû à des sensibilités morales offensées: les yogis étaient aussi des gens difficiles à mettre en ordre. Du XVe siècle aux débuts du XIXe siècle, des groupes hautement organisés de yogis militarisés contrôlaient les routes commerciales à travers le nord de l’Inde, devenant si puissants au XVIIIe siècle qu’ils pouvaient défier l’hégémonie économique et politique de la Compagnie des Indes Orientales.
C’est donc bien en raison de cette association avec la terreur mercenaire yogi et les contorsions du fakir mendiant, que la pratique du hatha yoga (dont la plus visible était l’asana) a été exclue du renouveau du yoga initié par Vivekananda, comme étant l’aspect le plus inférieur du yoga.
Vivekananda était assailli par l’inquiétude de garder un visage respectable. «L’image menaçante du sannyasin-fakir« n’avait pas sa place dans cette reconstruction de «l’héroïsme spirituel», trop en contraste avec les praticiens contemplatifs et dévoueurs du «vrai» yoga.
Mais entre temps, d’autres, comme Vasu puis Basu, Dayananda ou Paul, étaient en train de planter les racines du hatha yoga médical, convaincus de l’utilité et des immenses avantages du Hatha Yoga.
L’intention de Vasu dans son ouvrage de 1915 n’est pas simplement de décrier les hatha yogins mais de créer un idéal de ce que devrait être un véritable pratiquant du yoga, un idéal bien informé, alliant les valeurs scientifiques, rationnelles et «classiques» de l’époque.
Il y affirme le statut scientifique et médical du yoga tantrique, «on donne une meilleure anatomie dans les tantras que dans les ouvrages médicaux». Selon lui, Siva Samhita décrit «plusieurs ganglions et plexus du système nerveux et prouve que les Hindous connaissaient bien la moelle épinière, le cerveau et le système nerveux central.»
L’impératif scientifique exprimé par S.C. Vasu, le Major Basu et N.C Paul, mais aussi par Dayananda, représente un nouveau départ pour le yoga et le tantra suivant des lignes scientifiques et rationnelles, et définit le programme d’étude scientifique des phénomènes de yoga tout au long du XXe siècle. Les traductions, transposées avec du matériel médical et scientifique, marquent un tournant dans la promulgation populaire du hatha yoga en tant que science médicale.
Aujourd’hui, des thérapies ou des médecins recommandent le yoga à des millions de personnes, ce qui est à bien des égards une conséquence tardive de l’assimilation du yoga à la science médicale qui a débuté au début du XIXe siècle.
Issu de « Yoga Body – The origins of modern posture practice » Mark Singleton